La famille

avril 2001

Editorial

Chers Parents,

Voilà déjà l'année 2001 bien commencée. Un peu tard peut-être pour les vœux que le comité et moi-même désirons tout de même vous formuler pour une année de bonheur et de santé et un début de millénaire des plus fastes !
Pour nous excuser également pour le retard de ce bulletin qui aurait dû paraître en décembre déjà mais qui a subi plus d'un contretemps. Je profite ici de remercier notre chaleureuse, efficace et spontanée secrétaire : Silvia qui part vers d'autres horizons.
Bonne chance et encore merci !
Nous commencerons ce nouveau millénaire avec une nouvelle secrétaire, Pascale, que tout le comité accueille avec joie et c'est avec grand plaisir que notre collaboration a déjà commencé en janvier 2001.

Bonne lecture à chacun et au plaisir de vous rencontrer lors de prochaines manifestations de l'association.

La vision du jeune enfant : son développement son évaluation et sa réadaptation par la stimulation

Etude du CPHV, mai 98

Stimuler la vision fonctionnelle
Dès l'âge de trois mois, un enfant disposant de son potentiel visuel complet utilise une quantité de perceptions visuelles sur lesquelles il s 'appuie naturellement pour se développer. De son côté, l'enfant présentant une déficience visuelle évolue en ne bénéficiant que d'une partie de la vision. Les expériences qu'il fait sont par conséquent incomplètes et limitées à son potentiel visuel.

Buts de la stimulation visuelle
La stimulation visuelle a donc pour but d'aider l'enfant malvoyant à découvrir et utiliser sa vision pour se développer. A l'aide d'expériences visuelles variées et progressives en fonction de ses capacités, il est mis en situation d'utiliser sa vision et de donner un sens à ce qu'il perçoit visuellement. On sait actuellement que la vision d'un enfant est une fonction qui se développe de manière précoce en interaction avec les autres fonctions et qu'elle peut être stimulée et améliorée par une prise en charge adéquate.

Les acteurs de la stimulation
A l'issue de l'évaluation de la vision fonctionnelle, les parents sont informés de la possibilité qu'a leur enfant de bénéficier d'une stimulation visuelle. Celle-ci se déroule généralement à domicile, avec le concours d'une ré éducatrice spécialisée en basse vision ou en collaboration avec un Service éducatif itinérant. Les contacts réguliers entre les parents et l'éducatrice favorisent les échanges sur les progrès de l'enfant et visent à multiplier les occasions d'utiliser sa vision, si faible soit-elle.
La plupart du temps, lorsque les parents ont saisi l'importance du développement de la fonction visuelle, ils créent eux-mêmes (par l'environnement, l'habillement ou l'agencement) d'excellentes conditions pour stimuler leur enfant.
Tout ce qui est proposé à l'enfant durant la stimulation visuelle part impérativement de son propre intérêt et du plaisir qu'il trouve. La stimulation visuelle privilégie les activités ludiques qui concourent à son épanouissement et à sa découverte du monde environnant. Elle peut également englober les activités d'habillage, de repas et de soins corporels que les parents pratiquent quotidiennement.
Pour illustrer ce chapitre, nous présentons des situations stimulantes qui constituent des exemples de ce qui peut être fait, Cela n'a rien d'exhaustif et dans la réalité, chaque enfant fait l'objet d'une démarche personnalisée en fonction de ses capacités visuelles et de sa personnalité.

Les étapes de la stimulation visuelle
Globalement, la stimulation visuelle cherche à parcourir les étapes suivantes du développement visuel :
- susciter une réaction et un intérêt visuel.
- Déplacer le regard et chercher une lumière, un jouet.
- Poursuivre visuellement.
- Découvrir les mains, les amener dans le champ de vision, les utiliser.
- Regarder, s'intéresser à ce qui est dans l'environnement immédiat, utiliser les mouvements de la tête et du corps pour projeter son regard.
- Se déplacer, se mouvoir, atteindre un but (s'appuyer…)
- Reconnaître des objets, des images
- Construire, explorer, s'organiser pour arriver à ses fins.

Un exemple de stimulation visuelle : Edouard
Pour personnaliser ce cheminement à travers les exemples de stimulation visuelle, nous retrouverons Edouard.
Lors de la première rencontre, l'éducatrice entre en relation avec lui et tente de découvrir les situations pour lesquelles il éprouve du plaisir. Elle apprend qu'il aime être touché, bercé ; qu'il réagit à ce qu'il entend, à ce qu'il peut saisir. Elle sait ainsi de quelle manière elle va capter l'intérêt d'Edouard et note également la position dans laquelle il se sent à l'aise (étendu, assis, dans les bras ou sur un siège).
Il n'y a évidemment pas de recette toute prête et les séances de stimulation visuelle nécessitent patience et créativité. La patience pour laisser le temps à l'enfant de comprendre ce qu'on attend de lui et la créativité pour trouver ce qui capte son attention.

Susciter une réaction et un intérêt visuel
Suivant l'importance de la déficience visuelle, la stimulation commence dans des conditions d'éclairage très faible qui permettent de limiter les stimuli environnants. Profitant d'une activité appréciée d'Edouard, l'éducatrice allume une lampe de poche gadget à portée de son regard et l'encourage à s'y intéresser. Si la réaction est positive, l'éducatrice modifie progressivement les différents éléments pour obtenir son attention dans d'autres situations. Dans le cas où Edouard ne montrerait pas d'intérêt pour cette lumière, elle cherche à associer plusieurs stimuli (sonore, tactile, olfactif, en mouvement), elle renforce son environnement et sa position pour tenter de déclencher une réaction visuelle. Par exemple, l'éducatrice peut lui proposer une lumière à travers une palette en plexiglas à laquelle il peut s'agripper et satisfaire son envie de tenir cette lumière.

Déplacer le regard et cherche une lumière, un jouet
A la deuxième étape, Edouard est sollicité par un objet ou une tache lumineuse à découvrir dans son environnement immédiat l'éducatrice l'encourage à diriger son regard dans la bonne direction. Elle peut lui proposer de trouver une source sonore, lorsque Edouard porte son regard là où il y a quelque chose à regarder. L'objectif est atteint. Si le regard peine à se diriger, l'éducatrice peut reprendre des stimuli auxquels l'enfant a répondu à l'étape précédente et modifier les paramètres à un rythme acceptable pour l'enfant.
Il arrive que cette étape commence par une mobilisation de muscles du cou pour favoriser les mouvements oculaires. L'éducatrice place Edouard à plat ventre au bord du lit et l'incite à relever la tête pour voir un objet sonore au-dessus de lui. Si nécessaire elle le pose sur un coussinet qui soutient le haut du corps et l'encourage à se redresser en lui parlant, en le caressant sur la nuque.

Poursuite visuelle
Edouard qui a commencé à diriger son regard, va s'exercer ici à maintenir son attention visuelle sur une cible mobile. Il va pratiquer la poursuite visuelle qui exige de sa part la mobilisation de la tête pour soutenir son regard. Si cela est nouveau pour lui, cette étape va lui apprendre d'abord à maintenir sa tête pour mieux voir, à la mouvoir de droite à gauche. L'éducatrice l'aide à trouver des appuis avec son corps en lui offrant une position et des stimuli adéquats. Le toucher, les caresses et des mouvements lents sont autant de supports possibles pour favoriser le port de la tête. N'oublions pas que l'enfant qui voit mobilise sa tête et son corps naturellement grâce aux stimuli visuels qui l'entourent. Edouard, avec sa vue déficiente profite peu de cette stimulation automatique et risque de rester centré sur ses propres sensations.

Découvrir les mains, les amener dans le champ de vision, les utiliser
La tête et les yeux fonctionnant de manière coordonnée, il s'agit de stimuler Edouard à toucher (saisir) ce qu'il voit. Dans un premier temps, soit il regarde et les mains ne bougent pas, soit il touche, saisit, porte à la bouche et ne regarde pas. Les objets présentés doivent être particulièrement intéressants à regarder et faciles à saisir. Le biberon offre une stimulation efficace. Si on augmente sa visibilité par des bandes contrastées, Edouard le localise facilement et est motivé à le prendre. S'il est encouragé à le tenir lorsqu'il boit, il fait progressivement le lien entre regarder, prendre et satisfaire son plaisir.
Pour renforcer les sensations d'Édouard lorsqu'il commence à découvrir son corps, l'éducatrice le place sur un plancher de vibrations. Une surface tendre ne donne pas beaucoup d'informations, alors que sur un plancher, chaque mouvement provoque une vibration ou un son qu'il perçoit avec tout son corps. En position ventrale, (soutenu si nécessaire) il commence à explorer l'espace dans lequel ses mains agissent.

Regarder ce qui est dans l'environnement immédiat
Edouard a découvert ses mains et il a du plaisir à toucher, à saisir ce qui passe à sa portée. Maintenant il s'agit de mobiliser le haut du corps pour rouler, s'asseoir et agrandir son champ d'action. L'éducatrice va lui proposer un espace de jeux à sa dimension dans lequel il se sente à l'aise et trouve des repères visuels, tactiles et sonores. Avec ses mains et ses pieds, il explore l'environnement immédiat et y trouve appui pour mobiliser son corps, se pousser. Des panneaux très contrastés l'aident à se situer visuellement lorsqu'il bouge. Se tourner d'un coté à l'autre, rouler est une étape importante dans la découverte du monde en trois dimensions. L'éducatrice lui propose des jeux qui vont renforcer sa musculature en général, car le but est bien de préparer Edouard à se déplacer à l'aide de son corps.
Lorsque l'acquisition de la positon assise nécessite une stimulation plus soutenue, l'éducatrice peut prendre Edouard sur ses genoux et pratiquer des balancements légers pour lui permettre de sentir ce qui se passe dan son corps. Il apprend ainsi à mobiliser son tronc pour se retenir, se tenir verticalement. C'est aussi dans cette position que l'éducatrice le stimulera à se pencher à se tendre pour attraper un objet convoité.

Se déplacer, se mouvoir, atteindre son but
L'espace de jeu limité et adapté devient progressivement inutile car Edouard commence à être curieux. Il est capable maintenant de se déplacer en mobilisant son corps. L'éducatrice va aiguiser sa curiosité pour qu'il ait du plaisir à se mouvoir et à aller "voir". Elle propose des objets et des situations tenant compte du potentiel visuel d'Edouard. Il découvre l'environnement et cela doit se faire en toute sécurité. Lorsqu'il atteint son but, l'éducatrice l'encourage à regarder, toucher, prendre, manipuler ce qu'il a atteint. Il se construit ainsi une image en trois dimensions de ce qu'il a repéré et réalise qu'il peut évoluer dans cet espace qui l'entoure. Il intègre la notion de déplacement : lorsque le monde n'est pas à sa portée, son "corps-véhicule" peut l'y conduire.

Coordonner tous les outils et découvrir l'espace
Si la position assise ou "à quatre pattes" permet à Edouard d'atteindre ce qu'il convoite, l'étape suivante consiste à se redresser sur ses jambes pour optimiser la vision. En se tenant debout, son angle de vision est encore meilleur, surtout pour conquérir l'espace. L'éducatrice lui propose des jeux qui l'incitent à expérimenter la position debout et l'amènent à se déplacer. Si sa faible vision constitue un danger, l'éducatrice lui procure un jouet roulant solide à pousser. Il peut s'y appuyer et se protéger des obstacles inattendus. Si Edouard a besoin d'un soutien plus rassurant, il va se tenir aux jambes d'un adulte qui marchera lentement à reculons. Au cours des étapes précédentes, Edouard a appris à utiliser vision et mouvements. Pour faire ses premiers pas, il s'accroche visuellement à l'environnement pour avancer et trouver.

Reconnaître des objets, des images, affiner son regard
Maintenant que la vision d'Edouard fait partie de son corps, qu'elle est devenue un outil, l'éducatrice introduit des jeux qui vont exercer sa perception visuelle. Distinguer un chat d'un chien sur une image, reconnaître deux objets identiques, assembler des formes simples, toutes ces activités ont recours à la vision dans un sens discriminatoire. Il s'agit de regarder, d'identifier des informations visuelles toujours plus fines pour enrichir ses représentations mentales.
Construire, explorer, s'organiser pour arriver à ses fins
Edouard se déplace, reconnaît ce qu'il connaît, il commence à expérimenter les possibilités qui sont à sa portée. Après avoir découvert les outils de son corps, il est prêt pour l'exploration. L'éducatrice lui présente des situations qui lui donnent l'occasion de varier ses activités et d'enrichir ses expériences. Il apprend à planifier des actions, à rassembler ce dont il a besoin pour jouer. Cette période est très propice pour consolider et affiner ses perceptions visuelles.

Les finalités de la stimulation visuelle
Les recherches qui sont menées par de nombreux spécialistes du développement de l'enfant tendent à démontrer le bénéfice ultérieur que l'enfant déficient visuel peut retirer d'une stimulation visuelle précoce. Lorsqu'il entre à l'école, il puise dans toutes les expériences de sa petite enfance pour comprendre ce qu'on attend de lui, intégrer les nombreux apprentissages et réaliser les tâches indispensables à sa vie d'écolier. S'il a bien intégré son "corps-véhicule" et qu'il est à même d'utiliser ses "outils sensoriels", il dispose de bons atouts pour entamer son parcours scolaire.

En guise de conclusion
Toutes les activités et apprentissages de la vie scolaire ont une relation naturelle avec la vision, et de manière plus générale, avec le développement global de l'enfant.
Au jardin d'enfant, on peut déjà observer ses compétences et déceler sil rencontre des difficultés dans certaines activités. A ce niveau-là, lorsqu'une intervention ne s'impose pas, on peut miser avec le temps et imaginer que celui-ci permettra à l'enfant de développer son potentiel au contact des autres.
A l'entrée en primaire, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture vont faire office de révélateur pour des difficultés qui nécessitent une intervention ciblée. C'est le plus souvent en amont qu'il faut aller rechercher l'origine de ce que vit l'enfant devant les premiers apprentissages scolaires. Cela signifie qu'un enfant qui n'aura pas suffisamment exploré aura de la peine à entrer dans des démarches pour lesquelles ses outils sont incomplets ou inexpérimentés.
Lorsqu'on observe un enfant en classe dans le but de déterminer dans quelle mesure ses difficultés d'apprentissage sont liées à la mal voyance, il est intéressant de chercher la trace du "petit enfant" dans l'écolier. On peut ainsi découvrir une absence d'outils pour des activités précises qui laissent les enseignant(e)s perplexes.
L'entourage de l'enfant exprime sa difficulté à comprendre ce qui se passe pour qu'une activité apparemment simple représente un obstacle. En décomposant l'apprentissage qui pose problème, on découvre qu'il requiert des compétences que l'enfant n'a pas encore intégrées et qu'il ne peut donc pas mobiliser. Ce qu'on lui demande de faire nécessite des "outils" qu'il n'a pas pu expérimenter. Par conséquent on lui demande une prestation qui le dépasse totalement et pour laquelle il ne sait pas quelle ressource mobiliser.
Lorsqu'un enfant a de la peine à appréhender l'espace parce qu'il ne le perçoit que fractionné et qu'il y évolue avec des mouvements et des gestes mal assurés, il mettra parfois beaucoup de temps pour saisir l'effet du déplacement visuel dans la lecture. S'il n'a pas pu se représenter les différentes relations qu'il y a entre ses gestes et les effets qu'ils produisent, il aura peut-être de la peine à faire la relation entre les lettres (qu'il reconnaît pourtant) et les sons qu'elles produisent.
On pourrait continuer ainsi de décortiquer les multiples activités de l'enfant en bas âge et leur mise en relation avec les différents apprentissages scolaires.
Là n'est pas le but de cette conclusion. Ces exemples permettent d'expliquer l'importance que revêt la fonction visuelle comme point d'appuis et référence pour les activités de l'enfant bien au-delà de la petite enfance. Lorsque la vision fonctionnelle n'a pas été mise en action pour soutenir le développement global de l'enfant, il manque un épisode à l'histoire et cela risque de ralentir ses apprentissages.
Marianne Farine
Bibliographie de référence:
BULLINGER A. "le développement de la coordination motrice chez le jeune handicapé de la vue"
BULLINGER A. "Vision, posture et mouvement chez les bébés. Approche développementale et clinique"
BULLINGER A. "la vision et ses suppléances"
HYVÄRINEN L. "la vision chez les enfants, normale et anormale"
VITAL-DURAND F. "la vue du nourrisson"
VITAL DURAND F. "mon enfant voit mal

Et les frères et soeurs, qu’en pensent-ils...?

Dans la littérature, le thème de la fratrie est un sujet oublié, non-mentionné jusqu’il y a quelques années. La multiplication des groupes de discussion « frères-soeurs » atteste du besoin éprouvé par ces derniers de parler de la situation qu’ils vivent, d’être informé, écouté et reconnu. Avant de parler de mon expérience de soeur, je pense important de mentionner certaines questions qui se promènent d’une manière générale dans la tête des frères et soeurs d’une personne handicapée.
Dans un premier temps, les questions sont plutôt du genre:

  • Pourquoi mon frère ou ma soeur est handicapé et pas moi, pourquoi lui et pas moi?
  • D’où vient ce handicap? Qu’y a-t-il de différent dans sa conception par rapport à la mienne puisqu’on a les mêmes parents?
  • Comment expliquer aux autres, à l’école, que j’ai une soeur ou un frère handicapé? Est-ce qu’ils vont penser que moi aussi je suis handicapé(e)? Il est vrai qu’à l’adolescence où l’on doit « entrer dans le moule » pour être accepté, trouver sa place dans un groupe, le regard des autres fait mal, car, pour nous, frère ou soeur, lorsqu’on se moque de l’autre c’est comme se moquer de nous! Mais c’est aussi attirer l’attention sur notre situation différente des autres.
  • Est-ce que les enfants que j’aurai auront le même handicap que mon frère ou ma soeur?

Et, vers la fin de l’adolescence, les questions se recentrent plutôt sur la vie de famille future:

  • Est-ce que mon compagnon va accepter mon frère ou ma soeur et inversément? Il arrive même parfois que cette question devienne un critère de sélection dans le choix du conjoint!
  • Comment va réagir mon frère ou ma soeur lorsque je vais quitter la maison, peut-être avant lui/elle?
  • Si j’apprend que l’enfant que je porte a un handicap, qu’est-ce que je vais faire? Si je garde cet enfant, je vais revivre la même situation que dans mon enfance à moi et si je choisis d’avorter, j’aurai l’impression de tuer mon frère ou ma soeur handicapée!

Parfois aussi, des croyances qui paraissent irrationnelles de l’extérieur vont assaillir la fratrie: par exemple, c’est de ma faute si mon frère ou ma soeur est handicapé parce que j’ai été méchant ou eu de mauvaises pensées. Pour ma part, j’ai cru pendant longtemps que puisque ma soeur avait eu un malheur à la naissance et pas moi, j’allai vivre à un moment ou à un autre quelque chose de terrible pour équillibrer ce « lot de malheur » que moi, la privilégiée, je n’avais pas eu en naissant! Cette croyance était tellement encrée que je n’osais pas le dire et je pensais que de toute façon personne ne pouvait rien pour ce malheur qui allait m’arriver! Mais le jour où j’en ai vraiment parlé avec mes parents, cette idée s’est envolée. Il est vrai qu’elle revient parfois sans que je puisse la contrôler.
Il faut être conscient que ces questions sont difficiles à exprimer pour la fratrie puisque, par exemple pour moi, en pesant le pour et le contre entre dire et ne pas dire, il me paraissait plus facile de ne rien dire pour ne pas « en rajouter ». En effet, en parlant de mes difficultés face au handicap de ma soeur, j’allai, d’une part, faire de la peine à celle-ci en lui disant que sa situation, qu’elle a déjà de la peine à gérer face à elle-même, était aussi difficile pour moi ( elle a du mal et de toute façon, il est difficile d’admettre, d’accepter que sa situation propre touche toute la famille, pouvant lui faire souci) et d’autre part, raviver le sentiment de culpabilité et donner plus de soucis à mes parents.
D’une manière générale, durant mon enfance et une partie de mon adolescence, je ne me suis pas donnée le droit de dire que moi aussi j’avais des soucis, des difficultés, que je souffrais parfois puisque mes problèmes étaient moindres. Je n’avais pas l’ handicap de ma soeur, donc pas le droit d’être triste. C’était je pense une sorte d’auto-censure qui me paraissait normale, dont je ne souffrais pas puisque c’était mon mode de fonctionnement! Puis, vers l’adolescence, je ne savais pas très bien qu’elle était ma place dans la famille, qui j’étais, ce que je représentait! Ma question était de savoir comment me trouver sans prendre trop de place, d’espace, sans « en rajouter » surtout auprès de mes parents mais aussi de ma soeur! Rétrospectivement, je pense que mes parents ont eu la bonne idée de m’inscrire dans un cours de danse. Ce domaine « m’était réservé » puisque personne d’autre dans la famille n’y avait touché ; c’était mon créneau; une particularité rien qu’à moi! Merci papa et maman. Je crois que ces deux aspects, « ne pas dire »et « qu’elle est ma place » sont étroitement liés, puisqu’en m’effaçant, je n’allais pas trouver ma place! Ce sont aussi les deux difficultés majeures que j’ai rencontrées dans ma vie de soeur. Ce que je ne sais pas c’est qu’elle est la part de ma personnalité et quelle est la part de la situation particulière de ma famille dans mon histoire.
Dans la littérature, un autre point est soulevé à savoir la difficulté à assumer une jalousie face à la place occupée par le pair handicapé au sein de la famille. Il est difficile d’accepter la jalousie éprouvée face à la personne envers qui on se sent tellement proche mais aussi coupable (coupable du fait que l’autre ait un handicap et pas nous, mais aussi coupable d’éprouver cette jalousie!)
Suite à mes difficultés à dire ce que je ressentais pendant mon enfance et mon adolescence, j’ai fait un pacte avec ma soeur: tout se dire, même si c’est difficile à entendre et à dire pour éviter cette jalousie éprouvée des deux côtés. De cette manière, les émotions sont posées carte sur table, on est honnête face à nous-même et face à l’autre, on sait où on en est et on peut alors avancer! J’ai la chance d’avoir une soeur qui écoute et qui répond et qui est sensible à ce que vit, éprouve la personne en face d’elle; mais si ce n’est pas le cas, écrire ou se parler à soi ou à une tierce personne, peut-être plus neutre que les personnes directement impliquées ,aide à se soulager.
Enfin, je voudrais conclure en adressant un message aux parents: il est vrai qu’un enfant avec un handicap quel qu’il soit demande de l’attention et que sans vous en rendre compte, vous êtes peut-être moins disponibles pour vos autres enfants, ou avez le sentiment d’être impuissant à les aider. Je pense que ce n’est pas vrai, vous avez des oreilles et un coeur et ça suffit à aider tous vos enfants qui peuvent par ailleurs vous le rendre en retour!
Alors, n’oubliez pas que tous vos enfants ont différents besoins: d’information sur le handicap, l’éthiologie, votre situation particulière...; de coopération; d’un climat d’écoute et de confiance pour dévoiler leurs préoccupations et peut-être leurs croyances irrationnelles et enfin, besoin de dire, de parler de ce qu’ils vivent!
Cet article est basé sur mon expérience personnelle et n’engage que moi!

Laure Assimacopoulos

Le mot des parents

Témoignage d'une maman

Lorsque mon deuxième enfant est né. J'avais déjà un aîné qui avait eu des problèmes visuels. Dans les premières semaines de vie, un contrôle approfondi à l'hôpital ophtalmique signifiait que le bébé que j'avais en face de moi avait un œil trop petit et dont la fonction visuelle était probablement nulle. Et l'autre œil présentait probablement un décollement de la rétine.

Nous étions effondrés. Pourquoi nous ? J'avais bien une maman avec myopie forte. Mais y avait-il un lien ? L'ophtalmologue, soucieux de ce séisme, proposa la venue dans la famille d'une enseignante spécialisée, afin, disait-il, de stimuler la vision fonctionnelle de Julien qui avait trois mois. Mais que pouvait-elle faire avec un enfant si petit ? D'abord, une écoute attentive. Nous avions besoin d'échanger, de poser des questions sur l'œil, le cerveau, leurs fonctionnements, sur les autres enfants, leurs familles et leurs avenirs. Des activités ludiques spécifiques ont aussi été proposées et tout cela chaque semaine. Trois années se sont écoulées et le service éducatif itinérant s'arrête aujourd'hui, septembre 2000. Julien va bien, il est agile, part volontiers, est parfois téméraire. Sur le plan visuel, il n'entre plus dans les normes d'enfants présentant un handicap de ce type. Il s'intéresse à l'informatique et apprécie Adibou et ses aventures.

Nous sommes très heureux de ce chemin parcouru et surtout d'un dépistage si précoce qui nous permet de voir arriver l'échéance de l'entrée à l'école enfantine avec sérénité, bon pied et… presque bon œil !

Une maman